الخميس، 22 فبراير 2018

315 : Cautionnement : du formalisme au principe de proportion, par





2. Cautionnement : du formalisme au principe de proportion,

note sous Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504 

par Marie-Pierre Dumont-Lefrand *

Le droit du cautionnement n'est pas un long fleuve tranquille et révèle au juriste, si besoin en était, que la certitude laisse sans arrêt place à l'incertitude pour, à nouveau, tendre vers la certitude de ce que le droit doit s'adapter à la réalité et aux nouvelles utilisations des outils juridiques. Il est vrai que lorsque plusieurs intérêts sont en présence, il est bien nécessaire de trouver un juste équilibre entre la protection de la caution et le souci d'assurer une sécurité suffisante au créancier. En attendant que le législateur propose une nouvelle réforme d'ensemble, le juge continue de jouer son remarquable rôle créateur d'équilibriste entre les forces en présence.

L'arrêt commenté ([1]) est l'occasion d'observer à nouveau cette oeuvre prétorienne. Il est, en effet, doublement stimulant. D'abord, parce qu'il poursuit le travail de détermination de la teneur du formalisme validant en cas de cautionnement sous seing privé consenti par une personne physique à un créancier professionnel, en infléchissant les exigences pourtant posées par le législateur, à peine de nullité. Ensuite, parce qu'il règle une question récemment controversée, en se prononçant sur l'influence de la saisissabilité des biens et revenus de la caution, commune en biens, sur l'appréciation de la proportionnalité de son engagement.

En l'espèce, une personne physique, le dirigeant de la SAS Le Fournil 85, s'était portée caution personnelle et solidaire des engagements de sa société au profit de l'un de ses fournisseurs, la SAS Brunet Fils. Cette dernière dut apparemment « laisser filer sa créance », sachant qu'elle disposait de deux cautionnements, respectivement souscrits les 7 décembre 2009 et 22 juillet 2010, pour des montants de 143 375 et 115 673 € contre le dirigeant de la société débitrice. À la suite du redressement, puis de la liquidation judiciaire de cette dernière, le créancier a naturellement assigné la caution en exécution de ses engagements. Pour refuser de payer, la caution a alors plaidé, à la fois, la nullité de son engagement de cautionnement et son inefficacité. Sollicitée en paiement, la caution a, d'abord, invoqué la nullité du cautionnement souscrit au motif que la mention manuscrite ne stipulait aucune limitation de durée de l'engagement de caution. En effet, la mention manuscrite apposée dans l'acte de cautionnement litigieux était la suivante : « en me portant caution de la société FOURNIL 85, dans la limite des sommes de... et jusqu'au paiement effectif de toutes les sommes dues, je m'engage... ». Il s'agissait donc de s'interroger sur la pertinence de l'exception de nullité du cautionnement tirée de sa durée indéterminée. Or la Cour de cassation fait droit à la demande principale et juge, au visa des articles L. 341-2 et L. 341-6 du code de la consommation, le cautionnement parfaitement valable au motif que « le cautionnement à durée déterminée est licite ». Elle ajoute même que, dès lors que la mention litigieuse « ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale, c'est à bon droit que la cour d'appel en a déduit que les cautionnements litigieux n'étaient pas entachés de nullité pour violation de l'article L. 341-2 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ». Ensuite, la caution plaidait la disproportion manifeste de son engagement. À cet effet, elle faisait valoir que le montant cumulé des deux cautionnements équivalait à 460 % de sa rémunération annuelle perçue en 2010, de sorte que ses engagements auraient été, lors de leur souscription, manifestement disproportionnés à ses revenus. Elle ajoutait que, comme son patrimoine ne comportait qu'un bien immobilier, en l'occurrence constituant un bien de communauté (légale), celui-ci ne pouvait pas être pris en considération pour apprécier le caractère proportionné ou non de son engagement dès lors que son épouse n'avait pas consenti à la souscription des cautionnements litigieux. Mais la Cour de cassation ne la suit pas en son argumentation et juge que « la disproportion manifeste de l'engagement de la caution s'appréciant, selon l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que celui de M. Y dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l'exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l'absence de consentement exprès du conjoint ».

Ce faisant, la Cour de cassation prend position, de façon relativement surprenante, sur deux points d'actualité, souvent invoqués, du droit du cautionnement, tenant, d'une part, à la validité du cautionnement et, d'autre part, à l'efficacité du contrat de cautionnement.

I - Sur la validité du contrat de cautionnement

Aux termes de l'article L. 341-2 du code de la consommation, le formalisme informatif impose, à peine de nullité, pour les cautionnements sous seing privé conclus par une personne physique envers un créancier professionnel, une double exigence : la mention manuscrite légale doit faire référence au montant de la somme garantie (« en me portant caution de X dans la limite de la somme de... »), ainsi qu'à la durée de l'engagement de caution (« en me portant caution... pour la durée de... »). De cette formulation très claire du texte, l'on en déduisait classiquement une limitation de l'étendue de ce type de cautionnement. C'est sur cette incidence du formalisme en termes d'étendue du cautionnement que la Cour de cassation semble revenir, à travers une lecture plus téléologique du texte.

A - La lecture littérale des textes découragée

L'ambition du formalisme informatif des articles L. 341-2 et suivants (devenus L. 331-1 s.) du code de la consommation était assurément vertueuse. En abandonnant la thèse du formalisme ad probationem pour un formalisme ad validitatem, il s'agissait de faire prendre pleinement conscience à la caution de la portée et de la gravité de l'engagement qu'elle s'apprête à consentir. Cette vertu préventive du formalisme légal avait donc comme but de sécuriser les contrats de cautionnement visés par les textes, en responsabilisant les cautions et en réduisant les sources de contestation (2).

Toutefois, cet « effet recherché » (3) du formalisme informatif n'a pas été sans heurts. Des difficultés n'ont pas manqué d'apparaître. Vu que la sanction de ces formalités est la nullité, certes relative (4), du cautionnement, les cautions se sont engouffrées dans cette brèche pour tenter de faire invalider leurs engagements. L'exigence d'un formalisme validant, d'interprétation apparemment très simple, est alors devenu un nid à contentieux où les juges ont essayé de faire preuve de pragmatisme pour éviter que l'élémentaire morale (5) ne soit bafouée afin de ne pas libérer des personnes de mauvaise foi. Entre retenir une interprétation littérale des textes pouvant conduire, au nom de la sécurité juridique, à libérer des cautions de mauvaise foi, et autoriser une lecture plus téléologique du texte aboutissant à ne conclure à la nullité de l'acte qu'en cas d'altération du consentement de la caution, la jurisprudence a finalement choisi. Elle retient une application assez souple des textes en se fixant une grille de lecture : en cas de discordance entre la mention légale et celle apposée dans un acte de cautionnement, avant de conclure à la nullité, il convient encore de vérifier s'il s'agit d'une erreur matérielle, à défaut, si le sens et la portée de la mention ne sont pas affectés, et, enfin, si tel est le cas, d'observer si celle-ci est favorable (6) à la caution.

Cette sécurisation du contrat de cautionnement s'est notamment traduite par une délimitation de l'étendue du cautionnement. Comme l'a relevé notre collègue D. Legeais (7), le respect de l'exigence légale de la mention manuscrite limite la liberté des parties. Le texte de l'ancien article L. 341-2 du code de la consommation a signé la fin des cautionnements dits omnibus ainsi que, nous semblait-il, celle des cautionnements à durée indéterminée, tout au moins lorsqu'il s'agissait d'un acte sous seing privé souscrit par une personne physique au profit d'un créancier professionnel. Dans ce contexte, la limite tenant à la durée de l'engagement de la caution n'a pas manqué de faire débat. On s'est, en particulier, interrogé sur la teneur de cette exigence. Comment la mention manuscrite doit-elle finalement exprimer cette durée obligatoire ? À y regarder de plus près, l'article L. 331-1 du code de la consommation ne fixe pas la manière dont la durée de l'engagement doit être mentionnée dans l'acte de cautionnement (8). D'ordinaire, lorsqu'une simple durée est indiquée, celle-ci pose un terme extinctif à l'engagement de la caution. Au-delà de celui-ci la caution est libérée. Mais est-il possible d'aménager ce terme, voire de ne pas limiter la durée de son engagement ? Une durée indéterminée est-elle envisageable ?

L'arrêt du 15 novembre 2017 revient sur l'idée reçue selon laquelle seul le cautionnement passé par acte authentique pourrait être à durée indéterminée (9). Ce faisant, il nous semble aller au-delà de l'esprit, si ce n'est de la lettre, de l'article L. 341-2 du code de la consommation tel qu'applicable en l'espèce.

B - La lecture téléologique des textes encouragée

La solution est rendue au visa de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6 du code de la consommation dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 14 mars 2016. Selon la Cour de cassation, si l'article L. 341-2 du code de la consommation oblige à déterminer la durée du cautionnement donné par acte sous seing privé par une personne physique en faveur d'un créancier professionnel, il n'impose pas l'énonciation d'une date fixe. Dès lors, dans la mesure où ce texte ne prévoit que l'indication d'une durée déterminable, cette exigence est respectée par la mention manuscrite litigieuse. La durée de l'engagement de caution stipulée « jusqu'au paiement effectif de toutes les sommes dues » est tout simplement un engagement à durée indéterminée que la Cour de cassation valide. Pour ce faire, elle sollicite, outre la latitude laissée par l'article L. 341-2, la précision de l'article L. 341-6 du code de la consommation ancienne version. Ce texte évoque, en effet, l'obligation annuelle d'information de la caution personne physique par le créancier professionnel et régit expressément, dans sa deuxième phrase, le cas de l'engagement de caution à durée indéterminée. Dans cette hypothèse, il impose au créancier le rappel de la faculté de révocation du cautionnement à tout moment, et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Or, si l'article L. 341-2 vise expressément l'acte sous seing privé, l'obligation d'information n'est pas conditionnée par la forme de l'engagement de caution. Dès lors, la Cour en déduit que le cautionnement, y compris sous seing privé, peut donc être à durée indéterminée (puisque la caution doit être informée de la faculté de révocation). Auquel cas, le membre de phrase « pour la durée de... » prescrit par l'article L. 341-2 ne régit pas le cautionnement à durée indéterminée. En revanche, la Cour approuve les juges du fond d'avoir pris la précaution de vérifier que la caution ait pu apprécier le sens et la portée de son engagement. Elle les encourage même, conformément à sa jurisprudence, à veiller à ce que la mention manuscrite apposée énonce, par une formulation claire et non équivoque, cette durée indéterminée de l'engagement souscrit, toujours à peine de nullité de celui-ci.

Cette position, si elle peut se justifier par l'interprétation des textes, est toutefois surprenante. D'abord, parce que l'interprétation des textes est ici discutable. Déduire d'un texte relatif à l'obligation d'information, qui prévoit une simple déchéance des pénalités ou intérêts de retard, une nouvelle condition validante d'un cautionnement sous seing privé, en admettant la licéité d'un cautionnement à durée indéterminée, quasiment contra legem, est assez osé. Le domaine d'application des deux dispositions est nécessairement différent. Ensuite, la jurisprudence, certes dans une autre composition, semblait avoir montré une voie différente. Dans une espèce où la mention portée sur l'acte litigieux était rédigée ainsi : « En me portant caution de la SARL X dans la limite de la somme de 69 000 € couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêt de retard et pour la durée de l'opération garantie + deux ans (...) », la Cour de cassation a annulé le cautionnement. Elle l'a fait au motif que « si les dispositions de l'article L. 341-2 du code de la consommation ne précisent pas la manière dont la durée de l'engagement de caution doit être exprimée dans la mention manuscrite, il n'en demeure pas moins que, s'agissant d'un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention devait être exprimée sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l'acte » (10). Pourtant la durée de l'opération, de 84 mois, figurait en page 1 du contrat de cautionnement. Or, en l'espèce, l'expression « jusqu'au paiement effectif de toutes les sommes dues », stipulée dans la mention manuscrite, obligeait sans doute la caution si ce n'est à se reporter au contrat de cautionnement, à se référer à l'information annuelle du créancier sur l'encours de la dette principale. Ainsi, la seule rédaction de la mention manuscrite ne nous paraît pas permettre, en l'espèce, à la caution, d'apprécier la mesure exacte et précise de son engagement, si ce n'est qu'il est à durée indéterminée.

Au-delà de cette apparente divergence de position, de ces deux jurisprudences, se déduit l'idée que la caution doit avoir, au travers de la seule mention manuscrite, une parfaite connaissance de l'étendue et de la durée de son engagement sans nécessairement avoir lu l'acte de cautionnement, tout au moins les clauses de montant et de durée.

Ces solutions sont assurément pragmatiques et révèlent, finalement, les limites du formalisme ad validitatem. Il est nécessaire de protéger les cautions personnes physiques en sécurisant le cautionnement, mais il est, par ailleurs, frustrant de récompenser l'éventuelle mauvaise foi de certaines d'entre elles au nom de la sécurité juridique. Aussi, en maintenant comme garde-fou que la mention « ne modifie pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale », en vérifiant si le consentement de la personne protégée n'est pas altéré, les juges continuent de faire preuve de pragmatisme, et proposent une lecture téléologique des textes. Cette jurisprudence qui s'accommode avec les exigences posées par le formalisme légal en validant certaines altérations de la mention manuscrite, et en en rejetant d'autres, nous paraît être un appel au législateur.

L'originalité de la décision se traduit aussi dans la seconde partie de la solution, tenant cette fois-ci à l'efficacité du contrat de cautionnement.

* Agrégée des Facultés de droit, Responsable du Master II DJCE de Montpellier
Dalloz. N° 7 du 22 fev 2018, p 392.



[1] - Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504, D. 2017. 2300.

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