الثلاثاء، 28 فبراير 2017

137 : De l'inconstitutionnalité de l'exécution forcée des promesses unilatérales de vente, par M. Fabre-Magnan


6. De l'inconstitutionnalité de l'exécution forcée des promesses unilatérales de vente, par M. Fabre-Magnan*


Le projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats entend « casser » la jurisprudence de la Cour de cassation du 15 décembre 1993 sur les promesses unilatérales de vente. Selon l'article 1124 de ce projet, le promettant qui se rétracterait avant la fin du délai d'option convenu pourrait désormais être forcé à réaliser la vente. Une telle exécution forcée porte atteinte au principe constitutionnel de liberté contractuelle. Un contractant ne peut en effet être obligé de consentir, et un contrat préparatoire ne peut dès lors avoir pour objet et pour effet de « figer » à l'avance le consentement d'une partie afin qu'il puisse servir ultérieurement pour la formation d'un autre contrat.
Nous voudrions plaider, une dernière fois (1), en faveur de l'excellente jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 15 décembre 1993 (2) et contre le projet de nouvel article 1124 du code civil. Ce texte, bien que réclamé et longtemps attendu par la grande majorité de la doctrine relayant de prétendus besoins de la pratique des affaires (3), nous semble contraire aux principes les plus fondamentaux du droit des contrats et, pour tout dire, non conforme à la Constitution.
On connaît la controverse : quelle sanction appliquer lorsque le promettant décide de se rétracter avant la fin du délai offert au bénéficiaire (car, après, la promesse est de toutes les façons caduque) et avant que ce dernier n'ait levé l'option (car, alors, le contrat est irrévocablement formé) ? Quelle est donc la sanction lorsque, contrairement à sa promesse, il refuse de procéder à la réalisation de la vente devant notaire ? Selon la Cour de cassation qui, depuis plus de vingt ans, tient bon courageusement contre les assauts répétés de la doctrine la sommant d'abjurer, la seule sanction possible est l'allocation de dommages-intérêts. L'adoption du projet d'article 1124 conduirait à pouvoir forcer la conclusion de la vente promise puisque, aux termes du nouveau texte, « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».
Une objection dirimante nous a semblé devoir être soulevée contre cette proposition : comment l'exécution forcée d'un contrat non translatif de propriété - le contrat de promesse unilatérale de vente - peut-il entraîner le transfert forcé de la propriété ?
Acquiesçant sans doute à l'argument, la doctrine a cependant trouvé une parade : le contrat de promesse unilatérale contiendrait et « figerait », une fois pour toutes, le consentement du promettant à la vente future. L'exécution forcée de ce contrat conduirait donc simplement à donner effet à ce consentement, et à le maintenir de force jusqu'à l'expiration du délai convenu. Le bénéficiaire aurait ainsi, jusqu'à ce terme, la faculté de lever l'option et de forcer le contrat de vente. Cette faculté de lever l'option serait plus précisément un droit potestatif, c'est-à-dire, selon les analyses classiques d'Ibrahim Najjar (4), un droit sans débiteur. Ce sont les explications que semble reprendre le projet d'article 1124 lorsqu'il donne, dans son alinéa 1er, la définition de la promesse. Selon ce texte, « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, consent à l'autre, le bénéficiaire, le droit, pendant un certain temps, d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire » (5).
Cette simple description suffit cependant à démontrer l'inconstitutionnalité majeure du mécanisme.
Il est, en effet, acquis aujourd'hui que le principe de liberté contractuelle a valeur constitutionnelle. Selon la formule adoptée par le Conseil constitutionnel, il est certes « loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général », mais « à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (6).
Or le cœur du principe de liberté contractuelle, son essence même, est la liberté de conclure ou de ne pas conclure un contrat. Si le consentement a un sens, il veut dire que, jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à ce que le contrat soit conclu par l'échange des consentements, chacun est libre de donner ou de ne pas donner son accord, et donc que personne ne peut être forcé à le faireUn contrat ne peut ainsi pas avoir pour objet de « figer » un consentement pour un contrat futur que l'autre partie pourrait décider seule de former ou non. La Cour de cassation ne s'y trompe pas qui, dans ses derniers arrêts (7), vise tout à la fois les articles 1101 et 1134 du code civil, qui sont les emblèmes du caractère volontaire de l'engagement contractuel, ainsi que de la liberté contractuelle. On ne peut éliminer la personne pour ne garder que son consentement, congelé et prêt à resservir. La notion même de droit potestatif n'a, au demeurant, pas de sens : certes, l'exercice par le bénéficiaire de son droit d'option ne nécessite pas que le promettant fasse, ne fasse pas ou donne quelque chose ; mais pour qu'un tel droit ait été créé et naisse, il a bien fallu qu'il y ait un contrat, liant et donc obligeant le promettant (au sens de la force obligatoire du contrat), et il faut donc bien un cocontractant, sinon débiteur d'obligations, au moins « obligé » par le contrat (8). Le montage a donc en réalité pour objet et pour effet d'« obliger » une partie à consentir, ce qui est une contradiction dans les termes et, par définition même, une atteinte à la liberté du consentement.
La mode est pourtant à ce que nous avons appelé ailleurs « le consentement en blanc » (9), particulièrement en droit du travail, où il s'agit d'obtenir du salarié qu'il consente par avance à des modifications unilatérales imposées par l'employeur, notamment de son lieu de travail. Mais un tel forçage du consentement, que l'on peut rapprocher de celui qu'on veut imposer en matière de promesses unilatérales de vente, porte atteinte au principe de liberté contractuelle.
On nous rétorquera que le contrat de promesse est valable, de même que sont valables les clauses de mobilité consenties par le salarié, dès lors qu'elles sont strictement limitées. Certes, mais de même précisément qu'on ne pourrait forcer un salarié à déménager (la violation de sa promesse sera sanctionnée par un licenciement), de même le promettant ne peut être sanctionné par la conclusion forcée de la vente. Il est acquis, en effet, même si ce point n'est pas mentionné expressément par le projet d'article 1221 (10), que si l'exécution forcée en nature peut être ordonnée toutes les fois qu'elle est possible, c'est à la condition que l'obligation inexécutée ne soit pas trop personnelle (11). Or il est difficile d'envisager une obligation plus personnelle que celle de donner son consentement. La sanction consistant à figer le consentement, à le bloquer, et donc à forcer la conclusion d'un autre contrat (la vente), est ainsi une sanction disproportionnée, au sens précis que donne à ce terme le Conseil constitutionnel.
Contrairement à ce qu'a répété une partie de la doctrine, le promettant n'a nullement la liberté de se rétracter, puisqu'il est condamné s'il viole sa promesse.
La sanction des dommages-intérêts peut en outre être très efficace pour inciter le promettant à respecter sa promesse : il est possible, en effet, de condamner ce dernier très lourdement, notamment s'il s'est rétracté pour pouvoir profiter d'une meilleure affaire par ailleurs.
La sanction des dommages-intérêts permet enfin de mieux rendre compte de la gradation de la formation d'un contrat. Pour les trois moments cruciaux que sont l'offre, la promesse et le contrat lui-même, seules deux sanctions sont disponibles : la formation forcée du contrat et l'allocation de dommages-intérêts. Or la formation forcée du contrat est un « tout ou rien ». Si on adoptait cette même sanction pour les deux moments de la formation progressive du contrat que sont la promesse et le contrat lui-même, ces deux étapes pourtant radicalement différentes se trouveraient confondues. La sanction des dommages-intérêts est, en revanche, susceptible de gradation selon qu'on en accorde plus ou moins, et cette même sanction pourrait donc convenir pour marquer, par une différence de quantum, la différence entre l'offre et la promesse de contrat.
Pour toutes ces raisons, et en particulier si l'on prend au sérieux le principe de liberté contractuelle, la formation forcée d'un contrat doit être et demeurer exceptionnelle. Le consentement, qui est l'émanation la plus profonde de la personne, ne peut être à ce point objectivé qu'on puisse le détacher de celle-ci pour le figer comme un objet de contrat dont l'exécution serait forcée.

* Professeur à l'Université de Paris 1

Recueil Dalloz, 2015, p.826
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(1) Pour d'autres tentatives, plus développées, V. surtout notre intervention au colloque organisé à Bordeaux le 24 nov. 2011 par notre collègue L. Sautonie-Laguionie sur le thème Jurisprudence et doctrine : quelle efficacité pour les avant-contrats ?, RDC 2012. 633, ou encore Droit des obligations, 1. Contrat et engagement unilatéral, PUF, coll. Thémis Droit, 3e éd., 2012, p. 242 s.
(2) Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199, D. 1994. 507 , note F. Bénac-Schmidt , 230, obs. O. Tournafond , et 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 384 , 351, étude M. Azencot , et 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre.

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